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Dans son livre intitulé Il faudra repartir (1), Nicolas Bouvier pose quant au voyage la question de la raison de sa récidive vécue comme un besoin de recommencer. L’étude d’un corpus de lettres de réclamation écrites par des voyageurs déçus nous a conduit à distinguer au moins quatre grandes catégories de causes à l’origine de ce récidivisme…


 

1 L’initiation


Le voyage étant considéré par le voyageur comme un apprentissage perpétuel, récidiver n’est plus tant en ce cas une répétition que la poursuite pédagogique d’un idéal inscrite dans la continuité indéfinie d’une expérience d’initiation. Voyager, dans tous les cas, c’est apprendre ; et l’on n’a jamais fini de s’instruire au fil d’un voyage dès lors moins recommencé que poursuivi, sans cesse augmenté et somme toute continué… Comme disait Montaigne, « le monde est un livre suffisant » et voyager, c’est en quelque manière, de voyage en voyage, comme un chapitre après un autre.

2 La collection


Didactique ou mystique, d’origine humaniste ou religieuse, scientifique, esthétique ou missionnaire, possiblement altruiste ou thérapeutique, 
cet usage initiatique du voyage connaît toutefois un dévoiement quantitatif. Il voit alors l’envie d’apprendre se muer en désir de compilation, si bien que l’enjeu pédagogique se trouve supplanté par un jeu sériel qu’alimente un fantasme d’accumulation et que traduit une frénésie de la quantité.


3 L’addiction


Cette fois l’on est pour de bon dans la récidive, sous sa forme la plus pure. Ici le voyageur veut retrouver le plaisir perdu. La comparaison avec le drogué s’impose, qui recherche avec opiniâtreté dans la reproduction d’une expérience ce qu’il a déjà éprouvé dans une précédente, identique. Après le voyage continué par l’initiation et le voyage additionné par la collection, l’on est cette fois dans le voyage réitéré pour de bon par la reproduction, selon un fantasme de reconstitution qui génère des habitudes immuables, une fidélité indétournable, cette rigidité étant portée par un impératif catégorique de prévision fixant la répétition de tout – du lieu, des jours, des itinéraires, des étapes, des séjours, des activités, des protagonistes, etc.


4 La consolation


Enfin, si cette fois l’on est encore dans la récidive, ce n’est pas pour retrouver un plaisir ou un bonheur éprouvés et perdus. Au contraire, c’est pour faire mieux, prendre une revanche sur une mésaventure, et conjurer le souvenir d’un déplaisir et d’un malheur hélas rencontrés. Cette fois, c’est de voyage réparé qu’il s’agit : d’un ou plusieurs ratés et symboliquement corrigés par un autre destiné à faire oublier des déceptions, des blessures, voire des désastres et des naufrages de qualité parfois traumatique et dont il importe de se purger, de se laver, de se guérir. Ce qui est aussi à l’origine du désir de repartir, fondant le principe du voyage-remède…

(1)Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot, 2012.

Sourcewww.scienceshumaines.com/pourquoi-voyageons-nous

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